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Le président thaumaturge

C’est un fait qui ne manque jamais de m’étonner quand je traverse la Manche : le président de la République semble accaparer tous les esprits (tout du moins, quand l’un de ses futurs ex-opposants socialistes ne lui vole pas l’oxygène de la publicité). Pas un dîner en famille, pas une rencontre de bistro, pas une pause cigarette où le petit homme qui nous gouverne ne s’immisce dans la conversation. Une littérature foisonnante sur sa vie, son œuvre, nous propose le témoignage de son papa, de son institutrice, de ses amis, de « ses femmes » (attendons désormais que le futur bébé élyséen soit en âge de babiller), nous livre des analyses sur son rapport à la religion, à Israël, à l’Amérique, à Jacques Chirac… Sarkozy est partout, fidèle à sa réputation d’ « omniprésident ». Sa propension inégalée à envahir le terrain médiatique explique certainement cette obsession française pour la personne du président. J’en suis bien conscient : la vie à l’étranger prémunit des risques de surexposition à la parole élyséenne et atténue, par là-même, le prurit anti-sarkozien. Le dernier livre de Franz-Oliver Giesbert est, de ce point de vue, une utile piqûre de rappel. Néanmoins, j’ai fini par m’irriter de cette irritation. En gaspillant des hectolitres de salive indignée à discourir de leur président, les Français ne se font-ils pas les complices de cette « omniprésidence » ?
Cette focalisation sur le chef de l’Etat n’est pas nouvelle sous la 5ème République mais a atteint, avec l’actuel locataire de l’Elysée, de nouveaux sommets. La désillusion amère du pays est à la hauteur des espoirs soulevés par l’arrivée au pouvoir de quelqu’un qui, comme c’est la règle, s’était présenté comme l’homme providentiel capable de soigner tous les maux de la nation. Mais le bon peuple de France a fini par réaliser que le monarque républicain n’était pas le roi thaumaturge qu’il prétendait être. La déception du pays n’a cessé d’enfler telles de vilaines écrouelles sur le cou du patient trompé. Il faudra la magie d’une nouvelle campagne présidentielle pour faire renaître cette croyance en un président guérisseur. C’est certainement la rançon d’un régime personnalisé à outrance qui a certes garanti la stabilité des institutions mais débouché sur un culte du chef tantôt adulé, tantôt détesté.
Même sous des plumes d’ordinaire mieux inspirées, la répulsion instinctive que suscite le président peut conduire à un aveuglement absurde. Que penser en effet de la chronique de Daniel Scheidermann sur le site de Rue 89 à la veille de l’intervention militaire en Libye ? Empêtré dans un étrange raisonnement, le journaliste en vient à refuser « l’impossible choix » : « D’un côté, Kadhafi. De l’autre, le duo Sarkozy-BHL. Je n’ai pas besoin, j’imagine, de développer ici les raisons qui rendent ce choix, posé ainsi, impossible. » Eh bien Monsieur Scheidermann, vous imaginez mal ! On aimerait, au contraire, comprendre ce sinueux cheminement de la pensée qui vous amène à conclure qu’un dictateur aussi sanguinaire et déséquilibré que Kadhafi devrait avoir les mains libres pour assassiner son peuple sous prétexte que le chef de l’Etat vous donne la nausée. Personnaliser à ce point le débat donne l’illusion que le remplacement d’un homme suffira à régler tous les problèmes du pays. On peut se demander dans quelle mesure cette tournure d’esprit n’en vient pas à déresponsabiliser le peuple. En s’inventant un président exutoire, un chef de tribu bien commode sur lequel chacun est libre de déverser sa colère, les Français ne sont plus responsables de rien car leur président est coupable de tout. Indignez-vous contre votre président et tous vos problèmes seront résolus !