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Les Français de l’étranger : Combien de divisions ?

Il fut un temps (pas si lointain) où les Français de l’étranger votaient comme un seul homme pour les candidats de la droite. C’est bien simple, s’il ne tenait qu’à nos chers « expats », jamais un président socialiste n’aurait gravi le perron de l’Elysée. Mais aujourd’hui la France d’ailleurs a bien changé sociologiquement : elle n’est plus uniquement composée de cow-boys de la finance, d’ingénieurs du pétrole, de militaires et de maîtres d’hôtel. Les Français de l’extérieur ressemblent de plus en plus à ceux de l’intérieur et, du coup, votent peu ou prou comme eux. En 2007, par rapport aux résultats hexagonaux, le candidat Sarkozy n’avait recueilli qu’un petit point de plus hors des frontières.

Cinq ans plus tard, le corps électoral a pris encore un peu plus de poids. Ils sont désormais un million d’inscrits sur les listes électorales consulaires. Dans une élection qui s’annonce très serrée, ces électeurs établis hors de France pourraient bien faire la différence. D’où la cour insistante que leur font les états-majors des partis utilisant tous les moyens que leur offrent aujourd’hui les nouvelles technologies.

Certains Français de l’étranger en ont d’ailleurs ras la coiffe de ce harcèlement électoral… Tous les quatre matins, ils reçoivent dans leur boite e-mails des messages vantant les mérites de Sarkozy, Hollande and Co. Vous me direz, ça change un peu de tous ces spams qui veulent vous allonger le pénis ou vous raffermir les seins. D’accord, les états-majors des partis forcent peut-être un peu la dose mais les électeurs du bout du monde ne vont pas se plaindre eux qui se lamentent si souvent d’être ignorés de la France.
Alors, qui de Sarkozy ou de Hollande saura le mieux séduire les Français de l’étranger ? A en croire un sondage auprès des « expats » (mais est-il vraiment fiable ?), les Français établis hors de France veulent donner une deuxième chance au président sortant. D’une courte tête, il devancerait le candidat socialiste au second tour. A croire que la vie hors des frontières atténue quelque peu la force de l’antisarkozysme, ces Français-là ne souffrant pas de le même surexposition à la parole présidentielle.

Je me souviens de l’appel de Londres lancé par le candidat Sarkozy en 2007, « Revenez ! » avait-il lancé aux Français de l’étranger leur promettant une nouvelle France où il ferait bon vivre, travailler et entreprendre. Cinq ans plus tard a-t-il donné l’envie de rentrer dans la mère patrie que d’aucuns surnomment « l’amère patrie » ? Je laisse la question en suspens… dans quelques semaines les Français de l’intérieur et de l’extérieur trancheront.

Humour Hollandais

Faut-il oser l’humour en politique ? En France, mieux vaut le faire avec modération surtout lorsqu’on vise le sommet de l’Etat. Dans son livre, Le petit Hollande illustré par l’exemple, la journaliste politique Hélène Jouan nous apprend que François Hollande s’est juré d’épurer sa campagne des bons mots et des traits d’esprit, longtemps sa marque de fabrique au point de lui valoir le surnom peu gratifiant de « Monsieur petites blagues ».

Eh oui, l’humour, ça ne fait pas sérieux en politique… C’est réservé aux seconds couteaux et aux tontons flingueurs du Palais Bourbon qui gaspillent leur matière grise à trousser des petites phrases assassines quand les grands esprits (les prétendants à la magistrature suprême par exemple) réfléchissent, le front plissé, aux grands défis qui se posent à la France. Sous la IIIème et la IVème République, il n’était pourtant pas interdit de jouer les premiers rôles et d’avoir de l’humour. Georges Clemenceau et Edgar Faure sont les exemples qui viennent aussitôt à l’esprit. Mais sous  la Vème République, la stature quasi-monarchique du chef de l’Etat lui interdit de s’abaisser à faire rire en public. Comme naguère à la Cour, le monarque républicain réserve ses bons mots (souvent cruels) à un cénacle de courtisans et de journalistes triés sur le volet.

François Hollande a semble-t-il d’ores et déjà intégré cette donnée en censurant cet humour supposé ne pas faire « présidentiable ». Du reste, ça vaut mieux parfois… car Hollande tuerait père et mère pour un bon mot. Alors reporter politique, je me souviens (comment l’oublier ?) du matin de la mort de François Mitterrand. C’est François Hollande qui assurait le point presse à Solferino. Le même jour, le 08 janvier 1996, disparaissait le journal d’André Rousselet Info-Matin. La journaliste du quotidien fut accueillie par ce brin d’humour typiquement hollandais : « Oulala, quelle journée : deux disparitions en un jour ! » A l’époque, j’avais trouvé la remarque plutôt risquée en plein deuil national. Mais pour le reste, François Hollande fait preuve d’un humour subtil assez rare dans une classe politique où l’on se prend très (trop ?) au sérieux.

Dans un pays que je connais bien, la Grande-Bretagne, l’humour est pourtant la marque d’un esprit raffiné. Le manque d’humour est presque une faute de goût… Les grands premiers ministres (Churchill, Thatcher, Blair) savaient faire rire, y compris à leurs dépens. Imagine-t-on un président de la République se risquant à faire de l’autodérision ? Ce serait avilir la noble fonction. Faire rire des autres, à l’extrême limite, mais de soi-même… hors de question. Après tout, « le premier de tous les Français » reflète peut-être assez bien un trait typiquement gaulois.

Trop souvent, en politique, l’humour est une arme d’attaque alors qu’elle peut être une arme d’autodéfense. Avant de sacrifier son sens de l’humour, Hollande ferait bien d’y réfléchir à deux fois. Il suffit de regarder dans le cimetière des candidats socialistes vaincus aux élections présidentielles. Lionel Jospin, homme fort respectable au demeurant, était drôle comme un pasteur suédois. Quant à Ségolène Royal, elle était incapable de la moindre distance par rapport à elle-même. Aurait-elle su faire preuve d’un minimum d’autodérision que ses gaffes à répétition ne l’auraient pas à ce point desservie. Si Ségolène avait su se moquer d’elle-même après sa fameuse « bravitude », elle ne serait peut-être pas devenue la risée du Tout-Paris et la grande théoricienne de la « cruchitude ».  C’est un art de savoir mettre les rieurs de son côté pour se sortir d’un mauvais pas. En la matière, Tony Blair, (vainqueur de trois élections, faut-il le rappeler ?) était un orfèvre.

« A Paris, j’ai été commis de bar.  Dans ce bar, il y avait un pot commun. On m’a dit qu’il fallait impérativement y mettre tous les pourboires. Au bout de deux mois, j’ai découvert que j’étais le seul à le faire ! C’était ma première leçon de socialisme appliqué »

Il ne s’agit pas de transformer le débat public en cirque, ni les hommes politiques en clowns mais juste de rappeler les vertus de l’humour dans un pays déjà si anxiogène. Donc, François Hollande, qui se voit en président de la normalitude, aurait bien tort de se priver de ce registre qu’il maîtrise avec tant de virtuosité.

Le choc du retour ?

Pour un peu, je serais presque déçu de ne pas être un peu plus déçu. Rentré à Paris il y a trois mois, avec ma petite famille sous le bras, j’avais redouté un atterrissage brutal dans « l’amère patrie ». J’avais même imaginé de narrer les tribulations d’un « ex-expat » se sentant désormais étranger dans son propre pays… Mais ce journal de bord, suite hypothétique à mon précédent livre d’enquête sur les expatriés (France, je t’aime je te quitte), je n’ai plus envie de l’écrire faute de pouvoir tremper ma plume dans l’encrier de l’amertume. En effet, ce choc du retour que j’appréhendais, ce « post-traumatic disorder » qui affecte tant de Français rentrés d’une longue expatriation, je ne le ressens pas du tout… pour le moment (je sais, ça peut encore venir). Tout d’abord parce que, à la onzième heure, nous avons assuré l’essentiel, les « fondamentaux » : le travail, le logement, l’école… En juin dernier, c’était encore un saut total dans l’inconnu. A ceux qui m’interrogeaient sur les préparatifs du retour, je répondais par une pirouette pour dissimuler mon angoisse : « à part quelques menus détails comme le travail, le logement, l’école, nous sommes fins prêts… » Après des mois d’inquiétude, en l’espace de quelques semaines, tout est miraculeusement rentré dans l’ordre… Mais pour avoir enquêté sur la question, je sais que le retour en France peut vite virer au cauchemar. Plus d’un n’ont pas pu reprendre leur place dans le trafic et sont repartis à l’étranger se jurant de ne plus remettre les pieds dans l’Hexagone si ce n’est pour les vacances. « Mentalité étriquée », « pays conservateur et frileux », « mauvaise humeur et agressivité congénitales », « pessimisme contagieux », « arrogance insupportable », « dictature des petits chefs », « incivisme revendiqué »… Certains naufragés du retour tapent souvent comme des sourds sur leurs compatriotes. Leur frustration tient généralement au fait que leur expérience à l’étranger est peu valorisée quand elle n’est pas totalement ignorée, comme si leur séjour hors des frontières n’avait été que de longues vacances. Un expatrié averti en vaut deux… Chaque année, le ministère des Affaires étrangères publie d’ailleurs un petit guide d’aide au retour de France assorti d’une mise en garde, dans l’introduction, sur le risque d’un « choc culturel ». De fait, on ne rentre pas indemne (dieu merci) d’une longue expatriation. A moins d’avoir vécu en vase clos dans les « petites Frances » du monde entier (ce qui arrive encore trop souvent), on revient normalement avec, dans ses bagages, un nouveau regard sur son propre pays. Avec la découverte d’une autre culture, d’une autre mentalité, d’une autre façon de voir les choses, le sens critique vis-à-vis de ses compatriotes s’est souvent affûté. Et il y a beaucoup de frustration face à cette obstination française à ne pas vouloir ouvrir les fenêtres de l’Hexagone sur le monde extérieur. Les Français de l’étranger regrettent que, étant aux avant-postes de la mondialisation, leur double regard ne soit pas pris plus sérieusement en compte. Il est vrai que certains d’entre eux n’aident pas leur cause en se conforment à l’image caricaturale de l’expat nanti et arrogant. Ce faisant, ils n’aident pas à établir un dialogue serein et potentiellement fructueux entre France de l’intérieur et France de l’extérieur. Car, j’en reste convaincu, les Français de l’étranger sont particulièrement bien placés pour adresser un message non pas seulement critique mais aussi positif à la France. Si pour l’heure je ne ressens pas ce fameux spleen du retour, c’est justement parce que mes années d’éloignement m’ont appris que l’herbe n’était pas forcément plus verte ailleurs. Et je ne parle pas là que du bon vin, de la baguette et des fromages. Ainsi, même si l’on dit qu’ils se dégradent, je dois avouer qu’après 12 ans de vie anglaise je redécouvre les services publics « à la française » (l’école, la santé, les transports) avec la joie béate du nouveau-venu. J’apprécie aussi cette offre culturelle abondante et accessible au plus grand nombre, ce qu’on est loin de trouver partout ailleurs. Même cette propension bien française à s’empailler à tout bout de champ trouve grâce à mes yeux. N’est-ce pas le signe que les Français n’ont pas totalement abandonné leur espace de cerveau disponible à Coca Cola et restent encore des citoyens dans l’âme ? Certes, le retour en France n’est pas toujours une sinécure. Certains ne s’y feront même jamais. Malgré tout, je reste convaincu que l’expatriation c’est un peu « à tous les coups l’on gagne ». Si elle est « réussie » tant mieux… Si elle est « ratée », tant pis et tant mieux. Car les déçus de l’expatriation, tous ceux qui n’ont pas trouvé ailleurs l’eldorado dont ils rêvaient, reviennent souvent en chérissant ce que la France sait offrir de meilleur, ce qu’ils avaient perdu de vue en restant dans le bocal national.